Les raccourcis journalistiques du télétravail
Le Huffington Post vient de commander un sondage sur le télétravail suite à l’annonce d’Arnaud Montebourg qui prône le développement de ce mode d’organisation dans son programme. Résultat ? 48% des personnes sondées se disent contre le télétravail à temps plein. Jusque là, pas grand chose à dire, si ce n’est le traitement journalistique qui est ensuite fait de ce sondage (on pourrait facilement faire un cours en école de journalisme avec ça !).
- Le Huffington Post du 4 janvier 2017 publie un article à charge de Jean-Baptiste Duval, chef de rubrique éco, repris par de nombreux autres supports en ligne : l’article initial est ici ! « Exclusif – Quatre français sur cinq refuseraient de télétravailler à temps plein » (quatre français sur cinq, ça fait pas 80% ?) et ajoute notamment « les retraités s’avèrent très réticents (62% contre), signe d’une fracture générationnelle ».
- Repris dans la rubrique Actualités de Free ici ou sur le site de RTL (ici) avec encore moins de nuance : « Télétravail, près de la moitié des français y sont opposés« .
Mais reprenons dans le détail, quelques éléments de ces articles :
- Que des français soient opposées au télétravail, ce n’est pas forcément une surprise vu le faible taux de développement jusqu’à maintenant en France (15% de la population active pour les études les plus optimistes). On peut d’ailleurs trouver que le sondage est au contraire plutôt encourageant : 52% des français prêts à télétravailler, c’est quand même une majorité (mais tout dépend bien sûr si l’on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide). Il faut rappeler que le télétravail ne se pratique quasiment jamais à temps plein dans aucun pays occidental (le secteur public français ne l’autorise d’ailleurs que sur un maximum de trois jours par semaine) : c’est que qu’on appelle le télétravail pendulaire et c’est vrai dans tous les grands pays industriels.
- Comme l’indique le sondage, 30% l’envisagent d’ailleurs à temps partiel et 22% songe au télétravail à temps plein à domicile. Si 52% des français pratiquaient le télétravail, nous serions incontestablement les champions européens en la matière, pas mal non ?
- Les retraités majoritairement contre le télétravail : est-ce qu’une segmentation sur des populations retraitées, ayant fini leur carrière et donc non concernées pas ce mode d’organisation, est opportune et a vraiment du sens ?
- Que Google, Yahoo ou Facebook limitent l’accès au télétravail n’est pas une surprise : beaucoup d’entreprises, et souvent dans les secteurs technologiques, fonctionnent encore sur le principe d’un salarié « à disposition » et déploient même de nombreux efforts pour le garder « captif » en proposant des services qui visent clairement à ce qu’il reste le plus possible au bureau (conciergerie, courses livrées, pressing, …). Ce modèle rassure peut être l’employeur mais n’a jamais prouvé qu’il permettait ni d’accroître la productivité du salarié et encore moins de fidéliser ses employés. Au contraire, puisque de nombreuses études semblent noter que ces entreprises technologiques sont souvent confrontés à un turn-over important.
Cela fait plusieurs articles sur le sujet, souvent rédigés récemment par des responsables de rubriques économiques de médias nationaux qui tirent sur le télétravail à boulets rouges, visiblement sans bien connaître ce mode d’organisation. Dernièrement encore BFM publiait également un article sur le même ton. S’ils sortaient un peu de leurs salles de rédaction et descendaient sur le terrain avant d’écrire leurs articles, certains journalistes se rendraient sans doute compte :
- que beaucoup de grandes entreprises l’ont déployé et pas uniquement dans l’unique objectif d’améliorer la qualité de vie au travail mais aussi pour réduire des coûts, moderniser leur mode d’organisation, réfléchir à des questions d’optimisation des surfaces immobilières professionnelles, voire même améliorer la productivité des salariés et la qualité du travail rendu.
- que toutes les enquêtes de terrain soulignent que le télétravail constitue un vrai outil moderne de gestion des ressources humaines et sans doute aussi l’un des seuls permettant de construire une relation gagnant / gagnant entre salariés et employeurs.
- au final, qu’un autre modèle de gestion que celui imposé par certaines entreprises de haute technologie, reste possible et permet à la fois de répondre à des attentes de l’entreprise, de favoriser l’autonomie des salariés et de permettre un impact non négligeable sur des problématiques prégnantes, comme notamment les questions de pollution de nos grands centres urbains.
Le télétravail n’est un sujet politique que pour ceux qui ne souhaitent pas son développement. Cela reste un sujet transversal et, sur le modèle de nombreux pays européens, une solution complémentaire que nous aurions tout intérêt à plus développer.