Interview Focus RH – Avril 2016 : « Quelle place pour le télétravail dans la fonction publique ? »
Quelle place pour le télétravail dans la fonction publique ?
Les modalités de télétravail pour les trois fonctions publiques ont été fixées par décret en février. Suffiront-elles à lever l’ensemble des freins et limites qui persistent dans sa mise en oeuvre ? Le point avec Pascal Rassat, directeur du cabinet spécialisé Citica.
Quels sont les apports du décret du 11 février 2016 ?
Le cadre général reste celui de l’ANI (accord national interprofessionnel) de 2005, qui a posé les bases juridiques. Le décret permet de clarifier certains points concernant le télétravail dans la fonction publique. Le premier concerne le nombre de jours, limité à trois par semaine. Dans les faits, le télétravail dépasse rarement les deux jours hebdomadaires.
Le décret confirme ensuite que les coûts, en équipement informatique par exemple, doivent être pris en charge par l’employeur. Que pensez-vous de ce décret ? On peut regretter que le flou persiste sur la prise en charge ou pas des abonnements (internet, électricité, etc.), ainsi que sur les lignes budgétaires qui pourraient permettre cette prise en charge. Tout cela devra attendre les négociations spécifiques qui devront être menées dans chaque ministère de tutelle, collectivité ou autre établissement. Le décret peut-il avoir une incidence sur le développement du télétravail dans la fonction publique ? C’est surtout le contexte actuel de restriction des moyens qui peut impacter la montée en puissance du télétravail.
La décision relève de chaque fonction publique, et chacune a ses spécificités. Dans la fonction publique d’État, elle dépend des ministères. Or certaines administrations décentralisées sont sous la tutelle de plusieurs ministères, ce qui complique la démarche : qui établit les règles ? Qui gère le sujet ? Dans chaque collectivité, le télétravail est soumis à des délibérations. Enfin, du côté de la fonction publique hospitalière, chaque établissement reste autonome. A quels objectifs répond le télétravail dans la fonction publique ?
Sa mise en œuvre est récente puisqu’elle date du début des années 2010. Elle a concerné d’abord les conseils départementaux, puis les conseils régionaux et enfin la fonction publique d’Etat. Les hôpitaux publics rattrapent aujourd’hui leur retard, y compris pour le personnel soignant. Le télétravail porte essentiellement sur la partie administrative des tâches. Le motif principal des expérimentations, dans les trois fonctions publiques, reste la conciliation des temps sociaux et le bien-être des agents. Mais d’autres objectifs peuvent parfois être mis en avant : l’optimisation immobilière, le développement durable et le bilan carbone, les gains de productivité (de l’ordre de 5 à 10 % d’après les évaluations) et de temps de travail – une partie du temps de transport étant réinvesti dans le travail. Peut-on parle d’une tendance de fond ? C’est en tout cas un mouvement très net, même dans les territoires ruraux.
L’intérêt des agents est réel. Cependant, la direction n’est pas toujours favorable au télétravail. Le management le perçoit souvent comme une couche supplémentaire de problèmes à gérer, une évolution qui nécessite une réorganisation des modes de travail. On est encore dans une logique d’encadrement présentiel. Le décret peut permettre de faire bouger les lignes. De quelle manière accompagnez-vous la mise en place du télétravail ? Le premier élément est la définition des personnels éligibles, sur la base de critères bien établis. Il existe un principe d’égalité à respecter, or de nombreuses administrations accueillent du public, ce qui rend bien sûr le télétravail plus complexe à mettre en œuvre.
Nous devons également rassurer les DRH, qui craignent d’être dépassées par la demande. La réalité est pourtant bien différente : on observe généralement des taux de télétravail assez modestes, de l’ordre de 5 % des agents, rarement plus de 10 % actuellement. Un autre point de vigilance concerne l’encadrement, qu’il faut souvent convaincre de l’intérêt du télétravail à la fois pour l’agent comme pour l’administration. Ce sujet doit être envisagé sous un angle gagnant-gagnant. Enfin, il est indispensable de définir des éléments d’évaluation afin de pouvoir juger de l’impact réel du télétravail : niveau de satisfaction des agents, productivité, baisse de l’absentéisme, etc.
Propos recueillis par Gilles Marchand