TIC et mobilités : réalités et perspectives.
Les TIC véhiculent depuis toujours des imaginaires, notamment en matière de mobilités. En effet, certains sont allés jusqu’à annoncer la fin des distances, comme Cairncross (1997), conférant au numérique des effets de « démobilité » physique. Nous proposons d’exposer ici brièvement certains constats issus de la recherche scientifique, mais aussi des limites invitant à imaginer de nouvelles perspectives dans l’approche de cette question.
Les écrits théoriques (e.g., Claisse, 1983, 1997) et empiriques ont démontré que les télécommunications sont généralement complémentaires aux déplacements physiques (e.g. Salomon, 1986 ; Mitchell, 2000 ; Mokhtarian, 2009). En effet, la démocratisation des télécommunications et de l’informatique accroit « l’espace perçu » par les individus et les organisations, générant en conséquence des déplacements physiques, soit des effets d’induction de déplacements. Le modèle que propose Grübler (1990) permet d’illustrer ces dires, à savoir l’évolution corrélée des communications, notamment des télécommunications, et des déplacements, et ce de manière parlante.
Évolution comparée des communications et des transports selon le modèle de Grübler.
De fait, l’importance du face-à-face, d’une « poignée de mains », pour reprendre la terminologie de Leamer et Storper (2001), est pointée dans tous les travaux de recherche sur les « mobilités virtuelles », surtout quand elles font référence au travail, le « virtuel » ne pouvant se substituer totalement à la coprésence dans nombreuses situations (Veltz, 2000 ; Canzler et al., 2008 ; Urry, 2008 ; Rallet et Torre, 2008). Or, les politiques publiques s’inscrivent pourtant dans la recherche d’effets environnementaux par l’utilisation des TIC. Et si dans un souci de développement durable, les acteurs publics déploient les infrastructures de transport en commun et préconisent la densification démographique dans les centres urbains, paradoxalement, comme le fait remarquer Dupuy (cité in Lannoy et Ramadier, 2007), en parallèle, elles visent aussi à développer la télémobilité, qui est à la fois produit et support de l’étalement urbain, responsable des externalités négatives liées aux déplacements domicile-travail.
Par ailleurs, on sait ô combien il est difficile de mesurer avec précision les potentiels effets rebonds (*) avec des déplacements pour différents motifs. Sans développer davantage le débat scientifique sur le fait de savoir si les TIC ont des effets de substitution, de complémentarité ou d’induction des déplacements physiques, il semble que les conclusions des travaux de recherche se rejoignent régulièrement et que les perspectives se renouvèlent peu. En effet, la question de la mesure quantitative apparait complexe et sans fin. Certains auteurs préfèrent ainsi réorienter le débat sur l’étude des activités et l’influence de leur équipement en TIC pour analyser les changements d’agencement induits sur l’espace et le temps, et donc les mobilités (e.g. Rallet et al., 2009). Les mobilités ont un sens pour les individus qui pratiquent et animent l’espace, et réciproquement, l’espace, à travers ses réseaux de communication et ses lieux, influence les stratégies liées à leur activité. Parce que la Mobilité est en réalité un « phénomène social total » (Rémy, 1996), on ne peut se réduire à l’étude des effets des TIC sur les déplacements sans prendre en compte les « parcours spatio-temporels » des individus dans leur globalité.
(*) D’une manière très générale, l’effet rebond peut être défini comme « l’augmentation de consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie, ces limites pouvant être monétaires, temporelles, sociales, physiques, liées à l’effort, au danger, à l’organisation…». Source Wikipédia.
Pour aller plus loin :
- Cairncross, F. (2001). The death of distance: How the communications revolution is changing our lives. Harvard Business Press.
- Canzler, W., Kaufmann, V., & Kesselring, S. (2008). Tracing Mobilities: Towards a Cosmopolitan Perspective. Ashgate Publishing, Ltd.
- Claisse, G. (1983). Transports ou télécommunications : les ambiguïtés de l’ubiquité. Lyon, France: Presses universitaires de Lyon.
- Grübler, A. (1990). The rise and fall of infrastructures: dynamics of evolution and technological change in transport. Physica-Verlag.
- Lannoy, P., & Ramadier, T. (2007). La mobilité généralisée : formes et valeurs de la mobilité quotidienne. Editions Académia-Bruylant.
- Mitchell, W. J. (2000). E-topia : “Urban life, Jim – but not as we know it.” Cambridge (Mass.) ; London, Etats-Unis, Royaume-Uni: MIT Press.
- Mokhtarian, P. (2009). If telecommunication is such a good substitute for travel, why does congestion continue to get worse? Transportation Letters, 1(1), pp. 1–17.
- Rallet, A., & al. (2009). Diffusion des TIC et mobilité : permanence et renouvellement des problématiques de recherche. Flux, n° 78(4), pp. 7–16.
- Rémy, J. (1996). Mobilités et ancrages: vers une autre définition de la ville. Mobilités et ancrages. Vers un nouveau mode de spatialisation, pp. 135–153.
- Salomon, I. (1986). Telecommunications and travel relationships: a review. Transportation Research Part A: General, 20(3), pp. 223–238.