Les tiers-lieux de travail : des modèles en lien avec les formes urbaines.
Les « tiers-lieux » de travail sont des espaces qui existent depuis maintenant plusieurs dizaines d’années. Leur modèle peut faire appel à une gestion publique, privée, ou mixte (public-privée), et on les retrouve sous différentes formes tant sur les territoires ruraux que dans les grandes agglomérations. Leur point commun est que ce sont tous des espaces qui accueillent des professionnels pour des usages et une durée flexibles : à l’heure, à la journée, de manière permanente, etc. Néanmoins, on observe une certaine régularité dans la spatialisation des différents modèles que sont les télécentres, les espaces de coworking ou encore les centres d’affaires.
Les premiers « telecottages » accueillant des télétravailleurs ont vu le jour en Suède dans les années 1980 sous un modèle public-privé, mais leur fonction a fini par se limiter à celles d’Espaces Publics Numériques. Aujourd’hui, en France, les télécentres ruraux sont exclusivement portés par des acteurs publics ou socio-économiques à l’aide de fonds publics régionaux (appels à projets spécifiques ou dans le cadre des politiques d’accueil), étatiques (appels à projets spécifiques ou pôles d’excellence rurale), accompagnés ou non de fonds structurels européens. Ils sont en général adossés à un autre lieu (pépinière d’entreprises, maison des services aux publics, hôtel de ville, médiathèque, etc.) et proposent des espaces de travail, avec pour certains des actions d’animation. L’enjeu des politiques mobilisant le télétravail et les télécentres réside principalement dans la capacité des territoires à offrir un dispositif favorisant l’attraction et l’ancrage de populations actives, et plus particulièrement celles utilisant le numérique. Ce n’est qu’une demi-douzaine d’années après que l’on a pu voir les espaces de coworking, d’abord portés par les acteurs publics, arriver dans les agglomérations périphériques localisées sur des territoires dont l’économie est tournée vers l’industrie et l’agriculture.
Les centres d’affaires et les espaces de coworking se sont d’abord développés dans les grands centres urbains, à partir des années 1980 pour les premiers et 2005 pour les seconds. L’économie de leur territoire, en lien avec la mondialisation, s’est rapidement tertiarisée, augmentant en conséquence la part des métiers utilisant les TIC. Si les centres d’affaires sont la matérialisation verticale du capital, à proximité des centres de décision ou des pôles d’échanges internationaux, les espaces de coworking, eux, sont le produit de réseaux d’entrepreneurs faisant communauté, avec un mode d’organisation horizontal et une mutualisation des moyens. Florida expliquerait sans doute cette concentration par la plus forte présence d’une « classe créative » en capacité de se mobiliser de manière autonome. Les centres d’affaires sont bien entendu gérés par des acteurs privés, eux aussi en réseau et en étroite relation avec le monde de l’immobilier. Quant aux espaces de coworking, ils peuvent prendre la forme de collocations ouvertes et autogérées, ou bien de siège associatif d’un réseau d’acteurs soutenu par les collectivités publiques, se finançant en grande partie sur l’événementiel et les financements publics, ou encore d’incubateurs de start-ups, là encore associatif, ou privé, voire plus corporate (hébergé chez des géants de l’informatique et du Web).
Enfin, le dernier né en cours de développement en France, provenant d’Amsterdam, le télécentre périurbain, développé notamment à travers un partenariat public-privé, parfois appelé « smartwork center » par Cisco. L’enjeu est la réduction des flux de déplacements télétravail entre la périphérie et le centre urbain, ce qui justifie la mixité du modèle de gestion. Les politiques publiques amènent ici le bâti, et les opérateurs privés assurent l’exploitation. La question qui se pose alors est celle de viabilité et de l’acceptation pour les entreprises d’externaliser une antenne et de déconcentrer des ressources humaines hors du siège social.
In fine, il semble que la densité urbaine favorise des modèles économiques privés et la diversité des profils de professionnels du numérique nécessaire à l’innovation sociale et technique, mais aussi les modèles public-privé dans une perspective de développement économique. Les modèles exclusivement publics, eux, sont uniquement localisés sur les territoires peu denses où l’innovation publique doit investir davantage dans le capital humain. Enfin, le modèle périurbain est quant à lui en cours d’expérimentation, bien que davantage tourné vers un modèle public-privé, entre « télécentre d’affaires » et « centre de services aux publics », avec une approche transversale mêlant enjeu économique et réduction des flux domicile-travail.
Émergence des typologies de tiers-lieux de travail selon la forme urbaine
Richard FLORIDA est un géographe, spécialiste de l’aménagement urbain, célèbre pour avoir inventé le concept de « Creative class », en partie responsable des innovations produites en ville. Aux Etats-Unis, la Creative Class rassemblerait environ 40 millions de personnes, soit 30 % de la population active environ, mais 50 % des salaires et 70 % du pouvoir d’achat disponible.