Le télétravail à domicile a-t-il un coût pour le salarié ?
La question des coûts du télétravail est complexe. Elle constitue un point d’achoppement réel au développement du télétravail dans les entreprises privées et, peut-être plus encore, pour le secteur public. Revue des aspects juridiques mais aussi des pratiques des organisations sur cette question des coûts du télétravail.
Quels types de coûts pour le télétravailleur ?
En travaillant à son domicile, un télétravailleur va engager un certain nombre de coûts que l’on peut schématiquement scinder en deux grands postes :
• Le premier poste est bien sûr l’équipement matériel du télétravailleur, composé de l’équipement technique (ordinateur et téléphone principalement, puisque la plupart des employeurs décident de ne pas mettre d’imprimante à leur disposition) et du mobilier (chaise ergonomique, bureau, …). Si les organisations ont bien sûr l’obligation de mettre à disposition un ordinateur, certains peuvent parfois s’en exonérer en télétravail en demandant au salarié d’utiliser son propre matériel, suivant ainsi un précepte au goût du jour, le « Bring Your Own Device ». Dans certains cas, ce peut même être le salarié qui, ne souhaitant pas transporter un ordinateur sur le trajet bureau-domicile, est volontaire pour utiliser son propre matériel. Cette pratique pose cependant nombre de questions juridiques et de sécurité. Le mobilier quant à lui reste bien souvent celui dont dispose le salarié à son domicile, peu d’employeur décidant de prendre en charge l’ensemble de l’équipement.
• Le second poste porte sur les coûts des fluides (électricité, chauffage, eau et téléphone) mais aussi sur la connexion Internet quand l’entreprise ne fournit pas de moyen de connexion au salarié (box ou clé 3G par exemple) et que le télétravail est réalisé au travers de sa connexion privée. Si le téléphone ne pose généralement pas de problème grâce aux abonnements Internet intégrant les communications illimitées vers les téléphones fixes, il n’en est pas de même des coûts téléphoniques vers les mobiles, de l’électricité, du chauffage et, plus anecdotiquement, de l’eau dépensée à domicile pendant les horaires de télétravail.
Un cadre juridique clair pour le secteur privé …
Suite à la loi n°22012-387 du 22 mars 2012, le code du Travail intègre une section sur le télétravail dont l’article L 1222-10 indique que, outre ses obligations de droit commun vis-à-vis de ses salariés, « l’employeur est tenu à l’égard du salarié en télétravail de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ». Un paragraphe qui cite expressément les postes de coûts à la charge de l’employeur. Pas si clair en vérité, puisque la notion de « matériel », par exemple, peut vite prêter à interprétation (couvre-t-elle, par exemple, uniquement le matériel informatique ou aussi le mobilier ?).
… À la convenance de l’employeur pour le public
Dans le secteur public, on reste généralement contraint par deux problématiques sur cette question des coûts :
– comment, dans un contexte de réduction budgétaire, faire accepter ce dégrèvement ?
– sur quelle ligne budgétaire ce remboursement pourra s’opérer ?
Or, les dispositions du Code du Travail ne s’appliquent pas aux agents de la fonction publique qui sont régis par leurs statuts généraux et particuliers. Jusqu’à maintenant la loi Sauvadet renvoyant au code du Travail, on pouvait estimer que les mêmes règles s’appliquaient au public comme au privé.
Mais le projet de décret de la loi Sauvadet qui a circulé fin 2015 reste dans une forme de flou artistique peu propice à la prise de décision. Sous réserve de la publication du texte définitif, sans doute courant 2016, il ne propose en effet, aucune règle claire et laisse à la charge de l’employeur (ministère, collectivité voire responsable d’établissement) de décider quelle sera sa stratégie en matière de remboursement des coûts. Voilà qui promet au mieux des débats agités entre employeurs et organisations syndicales, au pire un abandon pur et simple de tout projet d’expérimentation de télétravail par nombre d’organisation publique.
Chiffrer le coût du télétravail pour le salarié
Chiffrer les coûts du télétravail est un exercice difficile. Prenons l’exemple d’un salarié en télétravail sur deux jours par semaine, utilisant sa connexion Internet personnelle et pour qui l’ensemble de l’équipement informatique a été fourni par l’employeur. Les coûts de consommation électrique pour un ordinateur utilisé à temps plein deux jours par semaine sont dans une fourchette comprise entre 20€ et 50€ par an (suivant le type d’ordinateur et les périphériques associés). Les coûts de chauffage sur six mois de l’année avoisineraient les 80€ / an en prenant en compte uniquement les heures de travail sur la base d’un chauffage avec une consommation moyenne de 2000W. Enfin, si on réalise un rapide calcul sur l’utilisation de la box au prorata de l’utilisation professionnelle, on arrive à un montant d’environ 90€ par an (soit 0,98€ par jour d’utilisation).
Sauf coût annexe non comptabilisé, dans notre hypothèse, on peut donc estimer les coûts engendrés par le télétravail à un montant approximatif de 200€ par an soit moins de 17€ de remboursement par mois. Un montant certes marginal pour un seul individu mais qui peut déjà constituer un budget plus conséquent en fonction du nombre de télétravailleurs autorisé dans l’organisation.
Est-il légitime que l’employeur participe à la prise en charge de certains coûts ?
Face à cette question des coûts, l’expérience montre qu’il n’y pas aujourd’hui de règles universelle suivie par tous. Certaines entreprises, publiques ou privées, ont prévu dans leur accord-cadre de télétravail une prime forfaitaire, versée à l’année ou au mois et qui « couvre l’ensemble des frais engendrés par la mise en œuvre du télétravail au domicile du salarié ». On observe ainsi le versement de primes généralement comprises dans une fourchette large pouvant aller de 100€ à 300€ par an. On entend aussi souvent, côté employeurs, que le télétravail est un avantage proposé à des salariés volontaires et qu’il permet généralement au salarié de réaliser des économies conséquentes en évitant certains trajets domicile-travail deux fois par jour.
Quelle stratégie pour l’employeur ?
Dans cette période de crise, on le sait bien, il n’y a pas de petite économie. Le télétravail, s’il n’est envisagé que sur cette question des coûts, peut vite être considéré comme superflu par les employeurs. Ce serait malheureusement ne prendre en compte qu’un aspect des choses en oubliant le retour sur investissement possible sur d’autres postes (bien-être de l’agent, meilleure conciliation des temps sociaux, productivité, coûts immobiliers, flexibilité du travail, garantie de continuité de l’activité, …). Alors prise en charge, ou pas, des coûts du télétravail à domicile par l’employeur ? Si le secteur privé n’a, à priori, pas d’alternative, il sera intéressant d’analyser comment les ministères, notamment, gèrent cette question. Cette stratégie constituera sans aucun doute un indicateur important pour la suite des expérimentations dans le public comme dans le privé.